la guerre de positions

fin 1914 et 1915

 

Arrivés à ce point du récit, nous entrons dans la phase la plus longue, la plus pénible et la plus sanglante du conflit dans lequel notre jeune père se trouvait impliqué.

La guerre prenait désormais un tout autre aspect. Les déploiements de grande envergure et les marches forcées pour attaquer les points faibles de l’adversaire avaient fait la preuve de leur inanité. Faute de solution de rechange, il ne restait aux combattants qu’à s’enterrer dans des tranchées et vivre dans la boue et la crasse au milieu des rats et des poux.

Le lecteur jugerait à juste raison que mon style est maintenant déplacé pour relater des faits qui n’ont rien de réjouissant. Mais comme il m’est difficile de changer de personnalité, je me bornerai à relater la suite des événements comme une succession de courts reportages.

 

 

2 octobre 1914: La guerre de mouvements fait place à la guerre de positions. Les chasseurs se transforment en terrassiers, creusent des sapes et des tranchées. Ils organisent le secteur entre la papeterie et le moulin de Bel-Air et le haut Maizey entre la Meuse et Spada.

 

16 novembre 1914: Attaque générale en direction de Chauvoncourt. Assaut de la côte 322 face à Saint-Mihiel. Deux jours de combats sans résultat contre les Bavarois. Retour au bois de Lamorville.

Certains commerçants, profitant de la crédulité de nos familles, proposent des prétendues cuirasses sans en avoir contrôlé l’efficacité. Mais aussi en raison du nombre croissant des blessures à la tête, nous mettions nos gamelles sous nos képis avant que l’on nous distribue des calottes en fer.

 

Les Allemands, toujours aussi organisés, disposaient déjà d’une artillerie bien adaptée aux tranchées. Leurs Mînnewer fer (lanceurs de mines) creusent des entonnoirs de 8 à 10 mètres de diamètre, tirent à faible distance et causent d’énormes pertes en hommes.

Nous riposterons par la mise en service du Crapouîllot, une arme identique, mais nous devrons attendre plusieurs mois avant qu’ils ne soient disponibles. Ce sera un mortier de 58 sur affût, dont la forme fait penser aux bombardes du moyen-âge. 

 

 

27 novembre 1914: Je suis promu sergent. J’ai toujours soutenu que j’avais le plus beau grade de l’armée française.

 

30 novembre 1914: Le général Sarrail, commandant la troisième armée, cite le bataillon à l’ordre de l’armée pour sa bonne tenue au cours des combats des 22-24 septembre à la Vau-Marie.

 

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20 février 1915: Un éclat de schrapnell me cause une blessure au visage. Je n’y fais pas attention. J’en serai quitte pour une citation.

 

14 mars 1915: Je suis cité (citation 29) à l’ordre de la division: « grièvement blessé à la face le 20 février 1915 pendant une audacieuse reconnaissance des tranchées ennemies, il répondait en riant: Ce n’est rien, un petit éclat d’obus»

 

 

5 avril 1915: C’est lundi de Pâques. Mais ce détail qui à la rigueur peut encore intéresser ceux de l’arrière, n’a plus beaucoup de signification car la première armée Roques, tentera vainement de reprendre Saint-Mihiel et n’abandonnera l’entreprise qu’au 14 avril.

 

7 avril 1915: Le bataillon attaque une lisière fortement défendue dans les bois de Lamorville et subit de lourdes pertes. Le commandant Zerbini est blessé. Le commandant Laurent le remplacera jusqu’à son retour le 23 juin. Laurent était un vieux chasseur à pied que la plupart des anciens ont connu à Saint-Mihiel alors qu’il était capitaine de la compagnie cycliste du 25ème BCP.

 

22 avril 1915: Dans le bois de la Selouze, face à Lamorville, je suis blessé à la boite crânienne par un éclat d’obus en observant les lignes ennemies. Le caporal Robert, de notre compagnie, prendra ma relève avant d’être blessé à son tour une quinzaine de jours plus tard. Il sera évacué vers l’hôpital de Boury dans l’Ain.

Une heure seulement après ma blessure, je subis une première opération dans l’ambulance de campagne n°4/6 pour soigner mon pariétal gauche enfoncé.

 

Note de l’auteur: Le bois de la Selouze est assez difficile à trouver. (Voir la carte qui accompagne ce texte). Quitter la N.964 allant de Verdun à Saint-Mihiel à la hauteur de Lacroix sur Meuse et suivre la D.162 en direction de Lamorville. A égale distance entre les deux villages, suivre pendant 500 mètres une route en terre en direction nord-est qui longe à gauche le bois de la Selouze. Bien qu’elles soient maintenant effondrées, on y distingue encore nettement le tracé des tranchées d’autrefois.

 

1 mai 1915: Fiche de diagnostic: blessé évacuable après une seconde injection antitétanique.

 

 

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4 mai 1915: Admis à l’hôpital temporaire de Ligny en Barrois, le médecin militaire Rivière constate que mon hémiplégie droite continue heureusement à régresser. J’en sors le 18 mai pour être évacué à l’hôpital de Neufchâteau avant d’être dirigé dans un hôpital du midi pour y passer ma convalescence.

 

20 mai 1915: J’entre à l’hôpital complémentaire n°137 de Narbonne. C’est au cours de mon séjour que je reçois la citation qui suit.

 

 

17 juin 1915: Je reçois une lettre de mon ancien aumônier militaire F.Cléret de Langavant. Ma sœur aurait pu lui donner des nouvelles et le tranquilliser sur mon rétablissement. Je peux maintenant remuer la main, mes maux de tête ont disparu et je peux me lever tous les jours, bien que je souffre encore d’un peu de surdité.

 

21juin 1915: Le Journal Officiel publie ma citation à l’ordre de l’armée:
« Le 22 avril, au cours d’un bombardement intense, s’est porté en avant pour observer le front ennemi. N’a quitté son poste qu’après avoir été très grièvement blessé. A trouvé la force et le sang froid de dire à ses hommes: Restez dans les abris, ce n’est pas une attaque, ils ne sont pas sortis de leurs tranchées »..

 

26 juillet 1915: Quittant Narbonne, je suis dirigé vers l’hôpital n°48 de Montpeîlier.

Chez le photographe de Potigny (14)

17 août 1915: N’ayant pas eu de permission depuis le début du conflit, j’en sollicite une de dix jours pour me rendre dans ma famille à Potigny. Jugeant sans doute que j’en demandais trop, l’armée ne m’octroie que cinq jours assortis d’un délai de route de seulement 48 heures. Il faudra bien que je m’en contente.

 

25 septembre 1915: Je suis proposé pour la réforme n°1 avec gratification renouvelable, 2ème catégorie de 80% par la commission de réforme de Montpellier.

 

30 septembre 1915: Le dépôt de convalescence de Montpellier me délivre une permission illimitée pour attendre chez mes parents à Potigny, la décision du Ministère. Je fais viser cette permission à la gendarmerie de Potigny lors de mon arrivée.

 

11 décembre 1915: Attiré à nouveau à Saint Germain en Laye par ma sœur Laure et mes souvenirs de la jeune Marcelle, j’y arrive le il décembre et fais viser ma permission par le commandant de la place.

 

 2 mars 1916: Par ordre 2496 du Grand Quartier Général des Armées, signé du maréchal Joffre, la médaille militaire, depuis le 19 février et la croix de guerre avec deux palmes (deux citations à l’armée) et une étoile (une citation à la division) depuis le 14 mars, me sont attribuées.

 

 

29 mars 1916: Des mains du capitaine Chapelle, je reçois officiellement la croix de guerre avec une étoile et deux palmes.

 

7 avril 1916: Je quitte l’hôpital complémentaire Chaptal.

 

Note de l’auteur: Rendu à la vie civile, notre jeune père se retrouvait à Saint-Germain. Il en avait décidé ainsi et avaient toutes les raisons que vous devinez pour le faire. Il se retrouvait bien sous l’affectueuse aile protectrice de sa sœur Laure et celle-ci pouvait d’autant mieux reprendre ses entreprises matrimoniales que l’intéressé ne demandait qu’à retrouver la jeune Marcelle dont nous avons parlé dans les chapitres précédents.

J’ignore bien entendu les menus événements qui ont conduit peu à peu nos parents vers le mariage, mais j’en ai assez appris pour vous exposer les faits comme je les ai reconstitués avec la plus grande vraisemblance. Disons que le rôle de catalyseur joué par ma tante ne pouvait que rapprocher deux êtres qui se plaisaient depuis 1913.

Pour l’instant, notre père était manutentionnaire aux Ets Raimon[1], tissus exclusifs pour les couturières. Ce ne fut pas une mauvaise place si l’on pense qu’il était chargé des expéditions, qu’il devait préparer de nombreux paquets et qu’il recouvrit l’usage de ses mains en faisant des nœuds à longueur de journée. Je gage donc qu’il fit tout pour guérir le plus vie possible pour qu’un prétendant éventuel ne lui souffle pas la dame de ses rêves. Mais laissons lui la parole, maintenant que la consécration est proche.

[1] Rue du 4 septembre à Paris

 

26 septembre 1916: C’est un mardi. A la mairie du second arrondissement de Paris, j’épouse enfin Marcelle Vivien dont nous avons tant parlé au cours de cet ouvrage. La cérémonie religieuse a lieu le même jour en l’église Saint-Eustache. Nous sommes tous deux qualifiés d’employés de commerce. Mon domicile est indiqué comme celui du 48, rue Saint-Sauveur, celui de Marcelle rue Grenéta, chez la fameuse tante-de-la-rue-Grenéta. Mes témoins sont me sœur Adèle et ma cousine Alice. Ceux de Marcelle sont son frère Émile et son beau-frère Michel Desbois. L’auteur et ses frères, nés de ce mariage, ne pouvaient qu’applaudir à sa réussite.

 

29 septembre 1916: Par sentiment patriotique, nous échangeons quarante francs en or à la Banque de France contre des billets de banque.

 

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14 août 1917: Mon frère Adolphe, soldat au 24ème régiment d’infanterie est tué d’une balle dans la gorge dans le secteur d’Œuilly dans l’Aisne au cours des combats au Chemin des Dames. Il avait 21 ans. Il avait été cité en ces termes: « Très bon soldat, énergique et résolu, a montré par son endurance et son courage dans les secteurs mouvementés que l’on pouvait compter sur lui en toutes circonstances. Tué glorieusement à son poste de combat, le 14 août 1917, devant Œuilly. A été cité. »      Médaillé Militaire à titre posthume le 19 octobre 1920

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10-20 janvier 1918: muni d’un sauf-conduit, je me rends sur la tombe de mon frère Adolphe, inhumé dans le cimetière militaire d’Œuilly.

 

Après le guerre, son corps fût transféré au cimetière familial du "Mont Joly" commune de Soumont St Quentin (Calvados)


Chapelle du Mont-Joly et son porche

 

 

12 septembre 1918: Treize divisions américaines et quatre divisions coloniales françaises, appuyées par 270 chars, des avions et 250 batteries d’artillerie, s’emparent de Saint-Mihiel.

 

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5 décembre 1935: Par décision du 20ème corps d’armée de la 20ème région, au fort Kleber de Wolfisheim (Bas-Rhin) je suis décoré de la Médaille Interalliée, dite de la Victoire.

1982: La médaille de Saint-Mihiel m’est attribuée à titre posthume (attribution 8602)


Médaille de St Mihiel

 

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Médaille Militaire
21 mars 1916

Croix de Guerre 1914-1918 avec étoile argent et 2 palmes

Croix du combattant

Médaille Interalliée dite de la Victoire
5 décembre 1935

Médaille commémorative de la Grande guerre.

Médaille des blessés

diplome de la
Médaille de Verdun

 

1989-1996: Mon fils Gaston entreprend la rédaction de cet ouvrage d’abord intitulé: «Les tranchées de Saint-Mihiel », puis finalement et plus pacifiquement: «En passant par la Lorraine» faute d’un meilleur titre englobant le champ d’action de son père.

Il aura patiemment visité les endroits ou se déroulèrent mes combats, recueilli les documents tant français qu’allemands pour que tous ces faits ne sombrent pas dans l’oubli, mais soient portés à la connaissance de la famille.

 

 

 

Huit bonnes années se sont écoulées avant que cette oeuvre ne paraisse. L’auteur, après avoir usé trois ordinateurs l’un après l’autre, approchait peu à peu d’une rédaction qui puisse satisfaire son besoin d’absolu et de beauté littéraire. Par contre, en butte à l’impatience affectueuse mais grandissante de son lectorat familial qui parfois le rappelait à ses devoirs, il s’entendait souvent rappeler à l’ordre, qu’il ne devrait pas constamment chercher la perfection et que le texte était très bien ficelé comme cela. Bref il ne devait plus ni pinailler ni chercher la petite bête mais conclure au plus vite pour satisfaire la gourmandise historique et littéraire de la famille. Ils n’osaient quand même pas dire à l’auteur qu’en raison de son âge avancé[2], et faute d’être publié à temps, son travail risquait d’être irrémédiablement perdu pour la famille et les générations futures et que dans ce cas, ils seraient cruellement restés sur leur fringale.

            Le hasard fit bien les choses. Voulant couronner les noces d’or de son frère par un cadeau inhabituel, il mit enfin le point final à son travail et engagea les travaux de reproduction, de correction, de mise en page et de décoration qui donnèrent le jour à la biographie que vous venez de lire.

Bien sûr, l’ouvrage présente encore des imperfections et des erreurs que les érudits ne manqueront pas de relever. La modestie habituelle de l’auteur dût-elle en souffrir, le mieux est toujours l’ennemi du bien.

[2] L’auteur vient d’atteindre 75 jolis printemps quand ce livre est finalement sorti de presse. La famille, rassurée, pensera qu’il était temps

 

Tout au moins connaîtrez vous ou ferez vous connaissance avec un personnage que nous avons tous aimé. J’ose espérer que cette lecture vous aura agréablement diverti et intéressé. Vous qui l’avez connu, peut être le connaîtrez vous davantage. Vous qui descendez de lui, vous pourrez l’imaginer avec vraisemblance comme l’adolescent, le jeune homme et le soldat courageux qu’il fut.

 En passant par la Lorraine